Publié par Cercle Paul Morand

LES CORRESPONDANCES DE PAUL MORAND

CAUSTIQUES ET PROPHÉTIQUES

Paul Morand

© Philippe LE TELLIER

 Le 15 juin 2015 | Mise à jour le 15 juin 2015 

 Paris-Match

 

La publication de ses lettres ressuscite ce mauvais esprit qui fuyait la mièvrerie mais se laissait rattraper par ses préjugés.

Caustique avec Chardonne
Dans la nuit des temps, à l’époque des lettres manuscrites, sous leur rude écorce de vieillards mécontents, Morand et Chardonne cachent l’un et l’autre un cœur doux comme le granit. Pourtant, miracle, il jaillit des étincelles de ces deux cailloux quand ils se frottent. En l’occurrence, il s’agit plutôt de deux coquettes. Dans leur correspondance, ils se caressent l’amour-propre, feignent d’être trop entourés mais ne cessent d’évoquer leurs propres passages dans la société comme autant de faveurs qu’ils accordent. Ce qu’ils peuvent être méchants, c’est fou ! C’est qu’ils sont tellement français. Morand, d’ailleurs, en convient : dès qu’il quitte Paris, il s’éblouit de trouver le monde si aimable, si gentil. De là à se corriger, n’y songez pas. En tête à tête, ils jouent moins que jamais la comédie et assument leur cynisme en donnant une touche de mélancolie à leurs préjugés vieille France. De toute manière leur cruauté est si bien habillée qu’elle semble toujours élégante et apporte un parfum de bibliothèque aux pensées les plus racailles. On ne s’ennuie jamais.
Perfide comme l’océan et vaste comme le Louvre, leur mémoire se pique de mirandoler : de la flamme de Périclès au phrasé de Sagan, du cours de l’Indus à celui du sesterce sous Marc Aurèle, ils ont des lueurs sur tout. Morand, qui ne cesse de sillonner l’Europe où il voit tout et tout le monde, tire mille leçons brillantes de cent détails insignifiants – tel un Patrick Besson en Classique Larousse. Cloîtré chez lui, Chardonne se contente de ressembler à son écriture avec tant de tact qu’on n’en goûte que le charme sans en ressentir le venin de celui qui n’a pas de cœur. Ils feignent d’être retirés du combat, semblent blanchis comme les os mais sont le tranchants de la glace. Ça fait du bien : enfin chez Gallimard de bonnes vérités et de gros mensonges aussi odieux les uns que les autres. Dans ce monde de brutes vulgaires et incultes, les écrivains eux aussi peuvent ouvrir le feu. Avec style. 
Par Gilles Martin-Chauffier

« Paul Morand-Jacques Chardonne. Correspondance, tome II, 1961-1963 », éd. Gallimard, 1 184 pages, 46,50 euros.

Prophétique avec Nimier
C’était du temps qu’on avait des lettres. Du temps qu’on s’en écrivait aussi. On se foutait alors pas mal des limitations de vitesse. Avec une auto compétente, et sans trop faire rougir son papier rose, on pouvait tenir de nuit le 135 de moyenne. A cette époque donc, les moteurs cravachaient dru leurs chevaux, mais les fers tenaient mal la piste. Il a fallu que tout cela se termine contre une glissière, un maudit mois de septembre 1962. C’était dans Match. En double page, l’Aston Martin froissée, pliée, à la morgue. Et Nimier à la casse, gisant propret, peigné, au point bel et bien mort. L’écrivain venait de traverser l’existence à 6 000 tours par minute. Sans un arrêt au stand. Cette folle allure ne put que plaire à Paul Morand – l’homme pressé – qui, douze années plus tôt, lui adressait ceci : « Mon cher confrère, puissiez-vous ne pas faire de journalisme et ne pas épouser une dame qui a besoin de robes ! Je vous le souhaite du fond du cœur, car je mise sur vous et ne veux pas perdre. » Plus qu’en 1940, Morand se révèle ce coup-là redoutable parieur. Il sent que le jeune crack en a sous le capot. « J’ai lu je ne sais où que votre 200 à l’heure faisait grincer des dents. On vous reprochera votre Jaguar toute la vie. On oubliera même votre beauté et votre talent, mais la Jaguar, jamais. » Leur correspondance est tout du long truffée de ces prémonitions, souvent griffonnées à la hussarde, sans le pénible apprêt des missives fabriquées pour la postérité. Ici rien que de très naturel. Ce sont deux amis, un père, son fils, qui s’écrivent et se manquent. Le lendemain de l’accident, Morand reçoit chez lui ce dernier mot, posthume : « Cher Paul, Moi, je suis triste de vous voir si peu. Nous pourrions peut-être nous téléphoner un jour à 4 heures du matin, prendre nos voitures et tremper un croissant à Lyon. A vous, Roger. » Place Bellecour, le café n’a pas fini de refroidir.

Par Philibert Humm

« Paul Morand-Roger Nimier. Correspondance, 1950-1962 », éd. Gallimard, 464 pages, 34 euros.

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